La diversité de Patate douce
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La patate douce (Ipomoea batatas (L.) Lam.), de la famille des Convolvulaceae, tribu des Ipomoeeae, est une culture vivrière largement répandue dans les régions tropicales, subtropicales et chaudes.
De par les nombreux nutriments dont la nature l’a dotée, la patate douce présente une grande valeur nutritionnelle. Ses tubercules sont en effet riches en bêta-carotène, vitamines B, C et E, mais également en fibres et minéraux, tels que zinc, magnésium et calcium (Owori et al., 2007). La patate douce représente la 7ème culture la plus importante dans le monde et l’un des tubercules les plus cultivés, avec plus de 86 millions de tonnes produites chaque année (FAOSTAT, 2022). Près de 98% de la production de patate douce est cultivée dans des pays tropicaux. Bien que la patate douce compte parmi les tubercules les plus consommés, ses produits de transformation sont encore peu abondants (Ndangui, 2015).
Origine de la patate douce
L’origine et l’histoire de la distribution géographique de la patate douce font l’objet de controverses de longues dates. L’espèce I.batatas n’est pas connue à l’état sauvage et différentes études de phylogénie moléculaire ont conduit à des résultats discordants concernant son origine génétique (Srisuwan et al., 2006 ; Muñoz-Rodríguez et al., 2018 ; Yan et al., 2024). Cependant, les résultats de l’étude récente de Yan et al. (2024) suggèrent fortement que la forme cultivée d’I. batatas, qui est héxaploïde (2n=6x), serait un amphiploïde issu de croisements interspécifiques réciproques entre l’espèce diploïde I. aequatoriensis et la forme 4x d’I. batatas, elle-même issue de l’autotétraploïdisation de l’espèce diploïde I. trifida. Compte tenu de la distribution de ces espèces ancestrales, comme de la diversité génétique d’I. batatatests, l’Amérique Centrale apparaît comme la région la plus probable de domestication de la patate douce (Yan et al., 2024). La patate douce a ensuite conquis le monde, transportée notamment par les navigateurs portugais et espagnoles dès le XVIe siècle, mais la culture de la patate douce a été propagée antérieurement dans tout le Pacifique par les navigateurs polynésiens, à une époque pré-colombienne durant le XIe siècle (Roullier et al., 2013). Cependant, Muñoz-Rodríguez et al. (2018) estiment très probable que des formes sauvages de la patate douce aient diffusé dans le Pacifique, jusqu’en Polynésie, bien avant l’occupation humaine, par le transport naturel des graines par les courants marins. La dispersion par flottation des graines est en effet attestée pour d’autres espèces d’Ipomées comme la Patate à Durand (Ipomoea pes-caprae, Miryeganeh et al., 2014).
Etude de la diversité agro-phénologique
A la Réunion, la patate douce est cultivée dans de nombreux endroits, généralement sur de petites surfaces. Il existe de nombreuses variétés sur l’île, qui diffèrent par la forme et la couleur des tiges, des feuilles et des tubercules, ou encore par la consistance de la chair des tubercules après cuissons et par leur productivité (Dadant, 1974).
En vue de caractériser cette diversité morphologique et agronomique des différentes variétés de patates douces, un essai a été mis en place sur la station Cirad de Bassin Plat à Saint Pierre au mois de mars 2023. Au total, 42 accessions ont été étudiées : 28 variétés provenant du CRB Vatel, 4 nouvelles variétés suite à des prospections et 10 originaires du CIP (Centre international de la pomme de terre). Afin de déterminer le potentiel de production et la précocité, 4 sessions de récoltes ont été organisées, à savoir 3, 4, 5 et 6 mois après la plantation. Une liste de 24 descripteurs (tirés du guide CIP/AVRDC/IPBGR) a été utilisée pour la caractérisation phénotypique. Cet essai a été mené par Corentin Exbrayat et Lionel Scherschel, avec l’aide de Aurélie Tock et Didier Fontaine.
Parmi les variétés intéressantes, peuvent être citées :
- La patate Blanche CR-XV-00024 (peau blanche, chair blanche) : très productive (rendement potentiel de 28,7T/ha 6 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, gros calibre (poids moyen des tubercules de 1422 g) ;
- La patate Blanche CR-XV-00022 (peau blanche, chair blanche) : productive et précoce (rendement potentiel de 18,2 T/ha), tubercules de forme et de taille homogène, calibre moyen (poids moyen des tubercules de 421 g) ;
- La patate Rose CR-XV-00025 (peau blanche teintée de rose, chair blanche) : très productive (rendement potentiel de 29,2 T/ha 6 mois après la plantation), gros calibre (poids moyen des tubercules de 1096 g) ;
- La patate Blondeau CR-XV-00099 (peau rose, chair jaune) : très productive et semi-précoce (rendement potentiel de 28,3 T/ha 5 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, calibre moyen (poids moyen des tubercules de 773 g) ;
- La patate Sang CR-XV-00032 (peau rose, chair jaune) : très productive et semi-précoce (rendement potentiel de 26,5 T/ha 5 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, gros calibre (poids moyen des tubercules de 1323 g) ;
- La patate Jaune CR-XV-00100 (peau rouge pourpre, chair orange) : très productive et semi-précoce (rendement potentiel de 21,4 T/ha 5 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, gros calibre (poids moyen des tubercules de 917 g), attrayante ;
- La patate Jewel CIP 440031 (peau orange, chair orange) : productive et semi-précoce (rendement potentiel de 14,3T/ha 5 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, calibre moyen (poids moyen des tubercules de 535 g), attrayante ;
- La patate N°4 Unknown CIP 401512 (peau orange, chair orange) : productive et semi-précoce (rendement potentiel de13,7 T/ha 5 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, petit calibre (poids moyen des tubercules de 228 g) ;
- La patate N°5 Cascara Rosada CIP 402938 (peau rose, chair crème) : productive et semi-précoce (rendement potentiel de 14T/ha 5 mois après la plantation), tubercules de forme et de taille homogènes, calibre moyen (poids moyen des tubercules de 421 g) ;
- La patate Plaine des Grègues CR-XV00095 (peau violette, chair violette) : productive (rendement potentiel de 14,6T/ha 6 mois après la plantation), calibre moyen (poids moyen des tubercules de 547 g).
Le présent travail de caractérisation sera complété ultérieurement par la mise en place d’essais multi-locaux dans des environnements aux conditions climatiques contrastées. Les données collectées permettront d’affiner les résultats obtenus sur cet essai et, de fait, d’identifier les variétés les mieux adaptées aux conditions agro-écologiques de la Réunion. Sur cette base, des fiches variétales seront élaborées à destination des agriculteurs. En outre le travail de prospection, la collecte et la mise en collection des variétés de patates douces sera poursuivie.
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Références :
Dadant, R. (1974). IRAT. Douze ans de recherches agronomiques à la Réunion. L'Agronomie Tropicale. Série 2, Agronomie Générale. Etudes Techniques, 29 (11) : 1159-1192.
FAOSTAT (2022). Agricultural production. En ligne :https://www.fao.org/faostat/en/#data/QCL/visualize
Muñoz-Rodríguez, P., Carruthers, T., Wood, J. R., Williams, B. R., Weitemier, K., Kronmiller, B., ...& Scotland, R. W. (2018). Reconciling conflicting phylogenies in the origin of sweet potato anddispersal to Polynesia. Current Biology, 28(8), 1246-1256.
Miryeganeh, M., Takayama, K., Tateishi, Y., & Kajita, T. (2014). Long-distance dispersal by seadrifted seeds has maintained the global distribution of Ipomoea pes-caprae subsp.brasiliensis (Convolvulaceae). PloS one, 9(4), e91836.Ndangui, C. B. (2015). Faculté des Sciences et Techniques Production et caractérisation de farine depatate douce (Ipomoeabatatas . Lam)?: optimisation de la technologie de panification. Universitéde Lorraine.
Ndiaye, A. (2010). Application de la SPIR au contrôle de la qualité de la patate douce (Ipomoeabatatas) au Vanouatou. 84, 12–84.
Owori C, Berga L, Mwanga ROM, Namutebi A, Kapinga R. (2007). Sweet potato recipe book: sweetpotato processed products from Eastern and central Africa. Kampala, Unganda, p. 93.
Roullier, C., Benoit, L., McKey, D. B., & Lebot, V. (2013). Historical collections reveal patterns of diffusion of sweet potato in Oceania obscured by modern plant movements andrecombination. Proceedings of the National Academy of Sciences, 110(6), 2205-2210
Srisuwan, S., Sihachakr, D., & Siljak-Yakovlev, S. (2006). The origin and evolution of sweet potato (Ipomoea batatas Lam.) and its wild relatives through the cytogenetic approaches. PlantScience, 171(3), 424-433
Yan, M., Li, M., Wang, Y., Wang, X., Moeinzadeh, M. H., Quispe-Huamanquispe, D. G., ... &Yang, J. (2024). Haplotype-based phylogenetic analysis and population genomics uncover theorigin and domestication of sweetpotato. Molecular Plant, 17(2), 277-296.