Drosophila suzukii, une menace pour les fraisiers réunionnais
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Octobre 2013, première détection avérée de Drosophilla suzukii à la Réunion. La mouche des fruits avait été localisée sur fraisiers, dans la zone du Tampon. Si l’on ne s’attendait pas à la voir arriver si tôt à la Réunion, sa détection n'en fut pas pour autant un effet du hasard. En effet, la drosophile asiatique fut repérée dans le cadre d’un réseau d’épidémio-surveillance piloté par la DAAF et la chambre d’agriculture. 18 mois se sont écoulés depuis… quelle est donc la situation actuelle de Drosophila suzukii à la Réunion ?
Bien que l’appétit de D. suzukii ne se réduise pas aux seuls fruits[1] des fraisiers, ce sont les producteurs de fraises réunionnais qui se retrouvent directement menacés par sa présence. En effet c’est dans un champ de fraisiers du sud de l’île que la mouche des fruits fut détectée pour la toute première fois. Depuis, elle a été signalée en bien d’autres endroits, et selon les derniers relevés de la DAAF, il n’est aucune région tempérée de l’île qui en soit exempt.
« L'absence d'insecticides spécifiques n'est pas une mauvaise chose en soi. »
D’apparence anecdotique, comparée à la banane ou aux ananas, près de 80 producteurs se consacrent à la culture de fraises à la Réunion. La fraise est, depuis des années, rentrée dans les mœurs Réunionnaises, devenant un produit de consommation locale. « Les fraises font désormais partie de la culture culinaire Réunionnaise. La filière y a sa place et doit être protégée. » précise Philippe Thomas, responsable de l’Unité de Santé des Végétaux de la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF) à la Réunion.
Par conséquent, et au vue des dégâts imputables à D. suzukii dans d’autres régions du globe,[2] il est compréhensible que les professionnels du secteur se fassent quelques cheveux blancs. D’autant plus qu’il n’existe actuellement aucun produit phytosanitaire qui soit homologué et qui permettrait de lutter contre cette mouche des fruits asiatique. Néanmoins, selon Philippe Thomas, ce point précis ne présenterait pas seulement des inconvénients :
« L’absence d’insecticides spécifiques[3] n’est pas une mauvaise chose en soi. Cela évite des répercussions sur notre santé et sur celle de nos sols comme on peut le voir dans le cas d’épandages massifs. Cela permet aussi de garder une cohérence dans nos actions car la région Réunion s’est engagée, dans le cadre de la reconduite du plan Ecophyto, à limiter l’utilisation de pesticides au sein de ses filières agricoles. Reste à trouver de nouvelles méthodes de lutte, notamment via de la lutte biologique. Mais, dans l’état actuel des choses, nous devons favoriser la mise en place de méthodes de prophylaxie[4] afin de limiter au maximum l’expansion de la drosophile. »
Limiter l'expansion de la drosophile
Des méthodes de prévention et de sensibilisation à destination des producteurs ont été établies en ce sens par la DAAF, en collaboration avec la FDGDON et la chambre d’agriculture réunionnaise. Pour cela des fiches comprenant des clefs d’identification ainsi que des propositions de moyens de lutte ont été mises à disposition des producteurs.
Parmi ces recommandations faites aux producteurs, celle d’éliminer systématiquement les fruits les plus vieux ainsi que ceux qui présenteraient des traces de piqûre. Raccourcir les délais entre deux récoltes permettrait également de ralentir l’expansion de la drosophile. Moins de fruits fatigués sont autant d’endroits où la ponte du diptère ne sera pas facilitée. De plus ces fiches techniques font état de techniques de piégeage qui semblent performantes mais qui, malheureusement, sont difficiles à étendre sur de grandes surfaces. Coûteuses en temps comme en argent, elles représentent une forte contrainte pour les agriculteurs qui, au besoin, peuvent se tourner vers de la culture sous filets. Très efficace, la culture sous filets n’en est pas moins contraignante : la mise en place de filets rend la récolte plus complexe et empêche notamment les pollinisateurs d’accéder aux fleurs.
Soit, en l’absence de moyens de lutte effectifs, la DAAF prend le parti de la prophylaxie. D’après M. Thomas ce message de prévention a été entendu par la grande majorité des producteurs qui, malgré les contraintes, mettent en pratique les mesures préconisées afin de limiter l’expansion de la drosophile.
Un manque de moyens alloués à la problématique posée par Drosophilla suzukii
M. Thomas déplore toutefois le manque de moyens alloués à la cause des fraisiers réunionnais et à la problématique posée par Drosophila suzukii. La production de fraises n’ayant pas un poids économique majeur sur l’île - sans commune mesure avec celui de la canne à sucre - ces questions semblent reléguées au second plan. Malgré tout, la DAAF, en collaboration avec la Chambre d’agriculture et la FDGDON, a récemment mis en place un réseau de suivi et d’identification propre à D. suzukii. L’objectif : étudier le comportement et l’évolution des populations de la drosophile à la Réunion. Cette étude pourrait s’avérer d’un grand intérêt pour la recherche car le cas Réunionnais représente le premier exemple connu d’installation de D. suzukii en zone tropicale. Par conséquent il existe de nombreuses questions concernant son comportement, sa capacité d’acclimatation ainsi que sa plasticité adaptative au sein de climats aussi contrastés que ceux de la Réunion.
Reste des difficultés quant à l’attribution des piqûres observées : à la Réunion il est d’autres mouches qui s’attaquent aux fraises, causant elles aussi des pertes de production. Induisant un risque de confusion, il est d’autant plus complexe de chercher à déterminer avec certitude quels sont les dégâts imputables à D. suzukii.
Pour aller plus loin:
[1]
Les fraises ne sont toutefois pas des fruits à proprement parler mais des faux-fruits. Les fruits, ou akènes, sont les nombreux « grains » que l’on voit en surface de la fraise, chacun d’entre eux contenant en son sein une unique graine qui servira à la reproduction sexuée du fraisier.
[2]
Si les viticulteurs de Cilaos ne semblent pas encore touchés par le phénomène, en Métropole D. susukii est connue depuis quelques années pour les dégâts qu’elle cause dans les vignes. Au vue de la place qu’occupe la filière viticole en France métropolitaine, il est plus que probable que de nombreux programmes de recherche de lutte contre D. suzukii voient le jour. La Réunion pourrait en ce cas bénéficier des retombées directes ou indirectes de ces programmes.µ
[3]
Rappelons que l’utilisation massive de pesticides non spécifiques entraînerait, en plus d’un risque sanitaire, l’élimination de la faune auxiliaire. Faune qui participe activement à la lutte contre d’autres ravageurs du fraisier, tels les thrips et les acariens, et qui par conséquent joue un rôle prépondérant pour la bonne santé des cultures.
[4]
Actions de préventions et de conduites sanitaires des cultures visant à éviter, en amont, l’installation de ravageurs plutôt que de chercher à les éliminer une fois leur présence avérée.