Serge Orru - "Produire sans détruire : le grand défi de l'économie circulaire"
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Directeur Général du WWF France de 2006 à 2012, Serge Orru a récemment piloté la table ronde sur l’économie circulaire lors de la conférence environnementale organisée par l’Etat français en septembre 2013. Il est également administrateur de l'Institut de l'économie circulaire. Interview…
Quelle pourrait être une définition de l'économie circulaire ?
- L’économie circulaire pourrait être définie comme l’économie du moindre impact sur notre environnement et notre santé. Aussi, l’économie circulaire est une richesse à la fois pour l’économie et pour l’écologie. A l’heure actuelle, on produit des biens de consommation ou alimentaires comme autant de moyens de destruction massifs de la biodiversité. Il devient urgent de réconcilier notre économie, aujourd’hui prédatrice de la biodiversité, avec la planète. On appartient à un système autophage, un monde qui se dévore lui-même. « Produire sans détruire », tel est donc aujourd’hui le défi proposé par l’économie circulaire.
Ce défi de « produire sans détruire » vous semble-t-il néanmoins conciliable avec le développement d’un modèle économique performant ?
- L’économie circulaire existait déjà dans nos modes de vie jusqu’à la moitié du XXème siècle, bien avant même que n’apparaisse le concept de développement durable en 1992. Notre agriculture par exemple était sous-tendue par une économie circulaire. Or, depuis plusieurs décennies, on est entrés de plain pied dans le monde et la société du jetable. L’économie circulaire se propose donc d’imaginer ensemble les moyens à mettre en oeuvre pour passer d’une société du jetable à une société du durable. Comment ? En tâchant de produire des biens et services, tout en limitant de manière drastique la consommation et le gaspillage à la fois des matières premières et des sources d’énergies non renouvelables. On se rapprocherait alors du concept de « sobriété heureuse » imaginé et popularisé par Pierre Rabhi. Chaque produit devra en effet être pensé et conçu en fonction de son empreinte écologique, économique et sociale. Un produit issu de l’économie circulaire sera in fine, soit entièrement recyclé, soit il retournera à la terre. Cela implique toutefois un changement des modes de production et de consommation. Pour cela, il nous faut repenser les produits dès leur conception, selon une éco-conception, et s’interroger sur l’écologie industrielle, l’économie de fonctionnalité du produit, son cycle de vie, le réemploi, la réparation, la réutilisation, le recyclage... Autant de principes clés à généraliser, ce qui demande selon moi de l’audace, et surtout de l’imagination !
Vous mettez notamment en avant la nécessité de travailler « ensemble » pour développer l’économie circulaire. Qui cela implique-t-il ?
- Chacun d’entre nous ! Citoyens, entreprises, PME, grands groupes, syndicats, politiques, collectivités territoriales, chercheurs, associations… La première des priorités est de « travailler ensemble » à un autre avenir. Les écologistes, même si leur rôle est indispensable dans notre société, ne peuvent décider seuls de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas pour la planète. L’écologie, c’est d’abord pour moi « l’art des relations humaines », à travers la pluridisciplinarité et la transdisciplinarité. Au delà des postures et positionnements des différents acteurs impliqués, il me semble donc indispensable que s’affiche une certaine cohésion. En s’améliorant, chacun améliore l’autre. Sortons ainsi du concept de compétition, provoquons l’émulation en imaginant d’autres pistes de vie. Or, « pour s’unir, il faut se savoir différent » disait également Teilhard de Chardin, chercheur, théologien et philosophe français. La diversité, sans même parler de biodiversité, sur l’île de la Réunion représente à ce titre une véritable chance pour le développement de l’économie circulaire. J’invite d’ailleurs la Réunion à organiser les premiers "Etats généraux de l'économie circulaire".
L'économie circulaire a pour objectif de fédérer tous ceux qui croient en un changement de paradigme pour un nouveau modèle de circulation des matières. A quoi pourrait ressembler ce nouveau modèle de circulation dans les domaines de l'agriculture et de l'agro-écologie ?
- La bagasse, qui fait l’objet d’une mise en valeur énergétique, est un bon exemple de ce nouveau modèle de circulation des matières. Résidu de procédé de traitement de la canne à sucre, la bagasse est aujourd’hui utilisée à la Réunion pour produire de l’énergie vapeur et de l’électricité. Deux centrales bicombustibles « charbon-bagasse » et biénergie sont d’ailleurs, il me semble, déjà opérationnelles : la centrale de Bois Rouge et la centrale du Gol. Mais plus globalement, l’île de la Réunion, à travers son modèle insulaire, réunit à elle seule, à une échelle relativement petite, l’ensemble des solutions qui pourraient être envisagées dans la mise en place d’une économie circulaire, jusqu’à par exemple une mutualisation des moyens et compétences avec les îles environnantes, pour que « les déchets » d’une île deviennent « la matière première » d’une autre.
Quel pourrait être selon vous un obstacle au développement d’une économie circulaire ?
- Seul le conservatisme de la pensée pourrait s’opposer à son développement. La France est pour le moment malheureusement « faiblement en mouvement », contrairement aux Pays du nord de l’Europe ou à la Hollande, particulièrement active dans le domaine de l’économie circulaire. L’économie circulaire requiert un changement de nos habitudes et de notre manière de voir le monde. Une pensée de Nazim Hikmet, poète turc, résume selon moi à elle seule la mentalité inhérente à l’économie circulaire : « Vivre comme un arbre, seul et libre. Vivre en frères comme les arbres d'une forêt. Ce rêve est le nôtre! ».
- Site officiel de l'Institut de l'économie circulaire : www.institut-economie-circulaire.fr