Ben Warren : "Les Mascareignes sont un lieu privilégié pour étudier l'évolution des espèces"
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Ben Warren est biologiste de l’évolution, en post-doctorat au sein de l'Unité Mixte de Recherche Peuplement Végétaux en Milieu Tropical (Université de la Réunion/Cirad). Il nous explique comment les espèces évoluent sur des îles comme les Mascareignes.
Que sait-on de l’extinction et du renouvellement des espèces du sud-ouest de l’océan Indien ?
Ben Warren : Jusqu’à la fin du 16ème siècle, les îles Mascareignes étaient peuplées d’une faune et flore bien plus riches et variées qu’aujourd’hui : roussettes, perroquets, oiseaux (dont le fameux Dodo de l’île Maurice), reptiles de toutes sortes et même tortues géantes ! L’arrivée de l’homme a bouleversé ces écosystèmes. Près de 50 % des oiseaux, 40 % des escargots, pour ne citer que deux exemples, ont disparu. Nous essayons de comprendre, grâce à des modèles phylogénétiques, les mécanismes en jeu dans l’extinction et le renouvellement des espèces insulaires. Nous testons ces modèles sur les oiseaux et les escargots, mais aussi les geckos verts et les roussettes.
Connaît-on l’origine de ces espèces ?
B. W. : Toutes les espèces des îles du sud-ouest de l’océan Indien ne viennent pas d’Afrique, comme on pourrait le penser, en considérant la proximité géographique. En réalité, presque la moitié des espèces seraient originaires d’Asie. Nous avons montré, grâce à des études de phylogénie, que certaines espèces, comme les oiseaux lunettes ou les merles, se sont séparées de leurs cousins asiatiques au cours des 2,6 derniers millions d’années. Pendant ce laps de temps, le niveau de l’océan Indien aurait baissé de 60 à 145 mètres, une cinquantaine de fois, ce qui aurait fait émerger une chaîne d’îles nouvelles entre l’Inde et Madagascar. Des espèces seraient alors passées d’Inde sur ces îles, aujourd’hui disparues pour la plupart, et s’y seraient différenciées. La direction des vents aurait également facilité le passage des espèces d’Asie sur ces îles.
Comment expliquer la diversité des espèces sur une île et comment ces espèces co-évoluent ?
B. W. : La diversité des espèces présentes sur une île volcanique s’explique par le nombre d’événements d’immigration ayant eu lieu, puis le nombre d’événements de spéciations qui ont suivi. Plusieurs facteurs sont reconnus pour influencer l’évolution : le temps, l’espace disponible, l’isolement, la dispersion par les vents et courants (facteurs dit « neutres ») mais aussi la présence de prédateurs, les phénomènes de compétition (pour l’habitat, la nourriture,…) et de co-évolution entre espèces (facteurs dit « écologiques »). Par exemple, il a été démontré que l’absence des pollinisateurs de la zone d’origine des orchidées dans les Mascareignes a favorisé l’adaptation d’orchidées à d’autres formes de pollinisation et leur diversification. Autre exemple : on soupçonne les plantes, dont se nourrissent les charançons endémiques (Cratopus), d’avoir eu un rôle dans leur diversification sous forme de 80 espèces dans les Mascareignes.
L’utilisation d’outils génétiques peut-elle accélérer la description d’espèces en voie de disparition et ainsi aider à leur préservation ?
B. W. : La description de nouvelles espèces nécessite du temps et des compétences en taxonomie. Les outils génétiques accélèrent aujourd’hui ce travail, surtout pour des espèces qui se ressemblent : il suffit de séquencer une partie du génome de l’espèce pour l’identifier, parfois même seulement une partie de gène. Cette approche s’appelle le barcoding. Nous l’appliquons actuellement sur une famille d’araignées sauteuses des Mascareignes, les salticides. Elle devrait nous permettre de découvrir entre 10 et 30 nouvelles espèces endémiques de Maurice et de Rodrigues.
Ces travaux s’inscrivent dans le cadre du projet Biotas, financé par l’Agence Nationale de la Recherche, dont voici les principaux collaborateurs : Dominique Strasberg, Samuel Couteyen & Johanna Clemencet de l’Universite de la Réunion, Antoine Franck & Serge Quilici du CIRAD 3P, Vincent Florens de l’Universite de Maurice, Sylvain Hugel du CNRS Strasbourg, Emmanuel Paradis du IRD Montpellier, James Kitson & Brent Emerson de l’Université de East Anglia, Christophe Thebaud & Juliane Casquet de l’Université Paul Sabatier (Toulouse).
Source : AGROnews n°3, juin 2010