Pascale Besse, généticienne : "Combinons les approches pour développer une taxonomie intégrative"
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Pascale Besse, professeur de génétique à l’Université de la Réunion et chercheur au sein de l’UMR PVBMT au Pôle de Protection des Plantes (3P), a récemment dirigé la parution de l’ouvrage Molecular Plant Taxonomy : Methods and Protocols*. Interview…
Qu’est-ce que la taxonomie ?
- La taxonomie (ou taxinomie) a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités appelées taxons, afin de les identifier, les nommer et enfin les classer. La taxonomie trouve tout naturellement son origine à partir du moment où l’Homme a commencé à cueillir et à chasser. La tradition orale a ensuite permis à l’Homme de nommer ce qu’il mangeait pour finalement aboutir très tôt à une première classification des êtres vivants. Historiquement, cette classification et cette délimitation des espèces se sont d’abord faites sur des critères purement morphologiques et anatomiques, basés sur des caractères extérieurs. Rapidement la taxonomie est ainsi devenue une discipline incontournable : avant même d’aborder des problématiques de conservation, de physiologie ou d’amélioration de la plante, toute application ou utilisation du végétal nécessite en effet de nommer et délimiter l’espèce sur laquelle on est en train de travailler.
Votre ouvrage s’intéresse plus particulièrement à la taxonomie moléculaire des plantes. De quoi s’agit-il ?
- Dans les années 1950, Crick et Watson révèlent la structure de l'ADN, ce qui entrouvre la voie au développement d’analyses moléculaires, qui prennent ensuite un essor considérable dans les années 90 avec le développement de la technique PCR d’amplification de l’ADN. Dès lors, la taxonomie des végétaux, qui est une discipline ancienne, a su répondre à de nouveaux défis, en permettant une classification basée sur une généalogie fiable. Bien que l'objectif principal de la taxonomie végétale reste la détermination et la délimitation des espèces, le vaste éventail d'approches moléculaires existantes fournit en complément une meilleure compréhension des processus évolutifs, question particulièrement importante pour certains groupes taxonomiques complexes de végétaux. Le challenge est donc aujourd’hui d’intégrer ces nouvelles approches et les faire cohabiter avec celles basées sur la morphologie. L’idée est finalement de considérer la taxonomie au sens large, regroupant à la fois la taxonomie comme classification, et la phylogénie, présentant les différentes relations d’évolution entre les taxons.
Pourquoi cette nécessité selon vous de faire cohabiter ces deux approches ?
- Les techniques moléculaires récemment développées entrainent des révisions taxonomiques importantes. Etant très souvent influencés par l’environnement, les marqueurs morphologiques ne peuvent pas, à eux seuls, constituer des critères suffisants de classification fiable. La tomate en est un parfait exemple contemporain. La tomate, appartenant à la famille des Solanacées, a d’abord eu pour nom Solanum lycopersicum, mais très vite, on a estimé que la tomate différait substantiellement des autres espèces du genre Solanum, telle la pomme de terre. On la rebaptisa donc Lycopersicon esculentum. Les techniques modernes de biologie moléculaire ont finalement conduit récemment (2001) à inclure à nouveau la tomate dans le genre Solanum, corroborant ainsi la toute première classification de Linné. Les nouvelles techniques moléculaires permettent en outre d’observer de plus en plus d’espèces cryptiques, des espèces dont on ne soupçonnait pas l’existence, d’un seul point de vue morphologique. La taxonomie moléculaire permet d’aboutir in fine à un niveau d’informations beaucoup plus fin.
Peut-on parler d’une "nouvelle forme" de taxonomie ?
- Je ne crois pas. L’idée est simplement selon moi de développer une approche de la taxonomie qui serait intégrative, combinant à la fois l’approche moléculaire et d'autres informations de type morphologique, anatomique, écologie, biogéographique, paléobotanique... On devrait aboutir non seulement à une délimitation plus fine des espèces végétales, mais aussi à la description des processus évolutifs en jeu. Seulement, il faut avoir connaissance de la variété des outils moléculaires disponibles à l’heure actuelle et bien choisir les outils appropriés à la question taxonomique posée. Or, peu d’ouvrages ont le mérite à l’heure actuelle d’aborder de manière aussi exhaustive la taxonomie moléculaire des plantes. Molecular Plant Taxonomy : Methods and Protocols décrit ainsi plusieurs techniques basées sur l’approche moléculaire pour la taxonomie végétale (dont les techniques de séquençage à haut débit Next Generation) au travers de protocoles de laboratoire, mais aussi des lignes directrices pour le choix des méthodes à utiliser et pour l'analyse phylogénétique des données moléculaires. Des protocoles d’extraction d’ADN à partir de spécimens d’herbier sont aussi proposés ce qui permet d’inclure des spécimens anciens et identifiés taxonomiquement dans des phylogénies modernes, autorisant ainsi un lien direct entre la taxonomie botanique et la taxonomie moléculaire. Les limites des initiatives actuelles de "barcoding" chez les végétaux sont aussi évidemment abordées.
Votre ouvrage fait effectivement la part belle aux protocoles de laboratoire.
- A ce titre, il s’adresse évidemment aux chercheurs mais également aux étudiants. Outre des introductions détaillées, chaque chapitre comporte une liste des matériaux et réactifs nécessaires, et évidemment les protocoles de laboratoire utilisés et présentés comme de véritables recettes de cuisine. Des « notes de dépannage » afin d'éviter les écueils connus seront également, à mon avis, particulièrement appréciés.
* Humana Press Inc., Series : Methods in Molecular Biology, Vol. 1115, Besse Pascale (Ed.), 2014.