Claudia Baider : "Les situations d’urgence en matière de conservation de la biodiversité se multiplient !"
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Claudia Baider, responsable de l'herbier de Maurice, et Vincent Florens, professeur associé en écologie et environnement à l’université de Maurice, luttent au quotidien pour la sauvegarde et la préservation de la biodiversité de l’île Maurice. Rencontre…
Quelle est aujourd’hui la situation à Maurice en terme de préservation de la biodiversité ?
- Vincent Florens (VF) : Maurice est aujourd’hui ravagée en terme de biodiversité ! On est arrivé à un état de dépérissement de la nature extrêmement avancé. Un avantage à cela néanmoins : l’île Maurice, contrairement à d’autres îles de l’océan indien, est tellement avancée dans le processus de dégradation de sa biodiversité que nous autres, scientifiques et chercheurs, n’avons plus le temps de réfléchir, tergiverser, calculer ou encore analyser. Il nous faut agir !
- Claudia Baider (CB) : Sur le terrain, une seule action individuelle, si infime soit-elle, peut avoir une portée exceptionnelle, à travers la sauvegarde ou la découverte d’une espèce. Chaque année, on continue de découvrir par exemple en forêt des espèces dont on ne soupçonnait même pas l’existence ou des plantes que l’on croyait tout simplement éteintes.
Comment procédez-vous concrètement sur le terrain ?
- VF : Nous adoptons une approche "habitat / écosystème". Au lieu de considérer chaque espèce séparément et de se focaliser spécifiquement sur elle, on va étudier précisément son habitat et les conditions écosystémiques favorables à son développement. L’approche "écosystème" est à ce titre beaucoup plus intéressante, dans le mesure où elle sauvegarde les interactions de chaque espèce / individu avec son environnement.
- CB : Des études intensives sur des espèces ciblées sont toutefois indispensables quand la situation est véritablement désespérée. A Curepipe, au coeur de l’île, subsiste par exemple un seul individu d’une espèce donnée de palmier. Dans ce cas précis, une micro-propagation en culture invitro a été envisagée, même si à l’heure actuelle les résultats ne s’avèrent pas encore concluants…
Cette perte de la biodiversité s’accélère-t-elle encore aujourd’hui ?
- VF : Globalement, la destruction de l’habitat a tendance à ralentir, du fait notamment des politiques scientifiques menées. Au milieu du 19ème siècle, l’homme a tout de même défriché près d’1/3 de l’île en 10 ans au profit de la culture de la canne. Beaucoup de rivières se sont alors asséchées, entrainant la perte de nombreuses espèces et provoquant de lourdes perturbations dans les écosystèmes végétaux… Heureusement, ce genre de dégât écologique n’existe plus aujourd’hui à l’île Maurice.
- CB : Inversement, les situations d’extinction des populations sont de plus en plus nombreuses, notamment du fait de la multiplication des espèces exotiques envahissantes (EEE). Le taux d’espèces menacées à Maurice est l’un des plus forts taux de la planète : près de 80 % des plantes à fleurs sont par exemple considérées comme menacées d’extinction selon les critères établis par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Nos espèces végétales sont de véritables "morts-vivants", et nombreuses sont malheureusement programmées à une mort certaine.
Quelle serait donc aujourd’hui selon vous la priorité à adopter ?
- VF : La priorité est de multiplier les aires protégées dans lesquelles on va pouvoir assurer un contrôle rigoureux des espèces. Ces parcelles de quelques hectares (10 à 30 hectares) sont aujourd’hui des "noyaux" desquels on peut espérer voir la forêt s’étendre à nouveau.On dispose actuellement sur Maurice d’une centaine d’hectares de ces parcelles, notamment gérées par le parc et le service des bois et forêts du ministère de l’agriculture. L’objectif est d’atteindre un millier d’hectares de ces parcelles en 2016, tout en les répartissant de manière plus pertinente sur l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, seul le sud-ouest de l’île bénéficie efficacement de la mise en place de ces parcelles.
- CB : Il faut également bien avoir en tête que chaque nouvelle introduction d’espèces aujourd’hui n’aura d’effets visibles que dans une cinquantaine d’années. Un changement des mentalités est donc souhaitable dès-à-présent. Or, les situations d’urgence en matière de conservation de la biodiversité se multiplient sur l’île Maurice.
Vous appelez également à lutter contre la "bio-poésie". De quoi s’agit-il ?
VF : Beaucoup de personnes assimilent trop facilement une hypothèse pour un fait avéré et vérifié ! On est dans l’ordre de la croyance, de la légende et finalement de ce que l’on appelle "la bio-poésie". L’histoire du tambalacoque, ou l’arbre à dodo, est pour nous emblématique de cette bio-poésie. Endémique de l'île Maurice, cet arbre a prospéré jusqu'au 17ème siècle, avant de décliner "mystérieusement" pour ne compter, en 1970, plus que 13 spécimens sur l’ensemble de l'île. Un chercheur a alors noté la coïncidence suivante : « depuis l'extinction du dodo de l'île Maurice, les graines du tambalacoque semblent avoir perdu leur pouvoir germinatif, aucune n’ayant donné un seul plant». Il en a conclu que, pour germer, les graines devaient transiter par le système digestif du dodo, et que l'extinction de cet animal condamnait donc le tambalacoque à la disparition. Remplaçant le dodo par un dindon, ce chercheur a alors montré que des semences, après avoir transité par le système digestif du dindon, retrouvaient leur pourvoir germinatif. CQFD : le déclin du tambalacoque était donc bien lié à la disparition du dodo. Théorie que l’on s’est attachés dans les années 2000 avec Claudia à réfuter : notre étude a ainsi démontré que le tambalacoque n'était finalement pas aussi rare que l'on croyait (près d’un millier d'arbres sur l’île Maurice) et qu'il existait même de jeunes individus. Bref, luttons contre la bio-poésie (rires) !