Luc Gigord, directeur scientifique du Conservatoire Botanique National de Mascarin (CBNM)
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Luc Gigord, directeur scientifique du Conservatoire Botanique National de Mascarin (CBNM) et du Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE), étudie la botanique à la lumière de l’évolution et de l’Histoire, faisant de lui ce que l’on appelle un chercheur en écologie évolutive… Portrait.
"Comprendre, au regard de l’évolution, les mécanismes ayant conduit à la diversification des espèces"
Originaire de la Réunion, Luc Gigord passera les premières années de sa vie au cœur des cirques réunionnais. « Mes parents, mes frères et moi passions notre temps sur les sentiers de montagne, d’où probablement le lien profond qui me lie aujourd’hui, et ce depuis mon plus jeune âge, avec la faune et la flore de notre ile ». Mathématiciens à l’université de la Réunion, ses parents côtoieront en outre Thérésien Cadet, célèbre botaniste et humaniste réunionnais, notamment à l’origine de la création du conservatoire en 1986, dont Luc prendra la direction scientifique près d’un 1/4 de siècle plus tard. Mais auparavant, le jeune Luc s’envolera d’abord pour Montpellier où il découvrira la biologie des populations, avant d’aborder au Museum National d’Histoires Naturelles de Paris, puis en Angleterre, la biodiversité sous l’angle de l’évolution. « La dimension évolutive appliquée à l’analyse des processus biologiques n’est apparue que très tardivement en France, comparativement aux pays Anglo-saxons », explique-t-il. Faisant aussi bien appel à la biologie comportementale, à la génétique des populations ou encore à la botanique, l’écologie évolutive va prendre en compte la dynamique d’une communauté d’espèces, apportant ainsi bien plus de données que sa seule description à un instant t. « S’intéresser à l’écologie évolutive, c’est donc replacer les espèces dans leur écosystème naturel, en essayant de comprendre pourquoi certaines espèces ont acquit telle caractéristique ou tel caractère en particulier. Bref, on s’attache au regard de l’évolution à comprendre les mécanismes ayant conduit à la diversification des espèces ».
"Les enjeux écologiques à La Réunion, et plus largement dans la zone océan Indien, sont énormes"
Particulièrement adaptée aux systèmes insulaires,fortement impactés par les phénomènes de colonisation et de radiation évolutive,l’écologie évolutive passionnera rapidement Luc Gigord, qui n’aura alors de cesse, depuis le continent européen et l’université de Lausanne (Suisse) où il est d’abord recruté en tant que jeune chercheur puis professeur-assistant, de multiplier les projets de recherche en lien avec des thématiques propres à l’océan Indien. Le besoin de revenir sur l’île de la Réunion se fera cependant tout naturellement ressentir quand en 2010, on lui proposera la direction scientifique du Conservatoire Botanique National de Mascarin. « Les enjeux écologiques à La Réunion, et plus largement dans la zone océan Indien, sont énormes. Il m’a donc semblé naturel de relever un tel défi ». A la tête aujourd’hui d’une équipe de 15 scientifiques, ses missions, et celles du conservatoire botanique qu’il supervise, sont d’abord de contribuer à la connaissance de la flore et des habitats, et à la conservation du patrimoine végétal. « Nous avons également un devoir d’assistance technique et scientifique auprès des collectivités et des services de l’Etat, et évidemment des missions de sensibilisation, d’éducation et de formation du public aux enjeux de conservation de la flore et des habitats » complète Luc. Seul centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) d’outre-mer, le conservatoire botanique de Mascarin développe aussi des activités autour de la thématique générale du développement durable.
"Pas moins de 104 espèces se trouvent en danger critique d’extinction à la Réunion"
Et si les missions du conservatoire botanique national de Mascarin sont aussi nombreuses,c’est peut-être parce que la Réunion, à l’instar des autres îles de l’océan indien, voit depuis des décennies sa biodiversité décliner. « Pas moins de 104 espèces se trouvent en danger critique d’extinction à la Réunion,rappelle le scientifique. C’est plus que sur l’ensemble du territoire français métropolitain ! Sans compter les habitats de basse altitude aujourd’hui pratiquement réduits à néant et cette menace énorme qui pèse sur l’ensemble de la biodiversité réunionnaise : les espèces exotiques envahissantes (EEE) ». Parmi ces dernières, Luc s’attarde volontiers sur Hiptage benghalensis, appelée localement Liane Papillon, qui est de loin, selon lui, l’espèce invasive la plus problématique pour la survie de la forêt semi-sèche réunionnaise et des espèces qui lui sont inféodées. « Je n’ai jamais vu une espèce bouleverser un milieu aussi rapidement et de manière aussi radicale. La liane Papillon recouvre et étouffe physiologiquement et mécaniquement toute végétation originelle. En quelques années seulement, on peut ainsi passer d’une forêt luxuriante à une zone mono-spécifique, quasiment impénétrable ! ». Cette espèce ligneuse lianescente peut en effet compter sur un mode de dissémination très efficace : elle va ainsi pouvoir progresser le long des cirques et remparts par dispersion de ces graines à l’aide de vents ascendants, faisant d’elle l’une des rares espèces capables de se propager du bas vers le haut. « Elle est à ce titre totalement adaptée au relief réunionnais, continue Luc. Or, aucun moyen efficace durable, hormis la lutte mécanique et le traitement chimique de la souche, n’existe à l’heure actuelle ».
"Les îles de l’océan Indien : un hotspot de la biodiversité mondiale"
En 20 ans, Luc Gigord aura ainsi vu des forêts entières disparaître à la Réunion. « Or quand une forêt disparaît, rappelle-t-il, on perd avec elle des habitats uniques et des groupements de végétaux pouvant compter jusqu’à plus de 100 espèces indigènes ou endémiques ». Un constat qui ne suffit toutefois pas à décourager le directeur scientifique du Conservatoire Botanique, qui se propose déjà de développer, en complément du territoire d'agrément du conservatoire élargi depuis 2007 à Mayotte et aux îles Eparses, « une approche plus globalisante à l’échelle de l’océan Indien en participant à la mise en réseau et la mutualisation des moyens et des efforts autour de projets de coopération régionale ». Rien d’impossible aux yeux de cet amoureux de la nature, pour qui les îles de l’océan Indien se doivent de rester « unhotspot de la biodiversité mondiale ».