Plantes envahissantes : un insecte efficace contre la vigne marronne
Written by Modified on the
Ce n’est qu’à l’issue de dix années de recherches et d’études en laboratoire et dans son aire d’origine, que la tenthrède Cibdela janthina fut élue agent de lutte biologique contre la vigne marronne, et à ce titre lâchée, avec le feu vert des autorités réunionnaises, fin 2007 en milieu naturel. Aujourd’hui, l’expérience d’acclimatation se poursuit : les tenthrèdes montrent une bonne capacité à se régénérer et sur le site expérimental de Ste Rose, « les dégâts sur vigne marronne sont importants. La défoliation de la vigne est quasiment totale et Cibdela janthina agit désormais dans un périmètre de plus de 4 km », se réjouit Gérard Lebreton de l’équipe du Cirad chargée de ce programme de lutte biologique. « Ceci est le premier exemple de mise en œuvre d’une lutte biologique contre une plante envahissante à la Réunion », précise Thomas Le Bourgeois, chercheur du Cirad, responsable du projet.
La vigne marronne, de son nom scientifique Rubus alceifolius Poir., est considérée comme l’une des principales plantes exotiques envahissantes à la Réunion. Elle envahit les milieux ensoleillés et humides (du niveau de la mer jusqu’à 1700 m d’altitude) au point « d’étouffer » la végétation environnante. « Elle représente une sérieuse menace pour les habitats naturels et les espèces végétales endémiques ou indigènes de l’île ».
Depuis les années 80, des programmes de lutte mécanique et chimique étaient mis en œuvre. « Mais ces méthodes, coûteuses, sont le plus souvent d’effet temporaire, et l’utilisation répétée d’herbicides en milieu naturel n’est pas sans risque pour l’environnement ».
En 1997, un projet de recherche en lutte biologique contre cette espèce envahissante a donc été lancé par le Conseil Régional de la Réunion. Coordonné par le Cirad, en collaboration avec l’Université de la Réunion, et différents partenaires dans l’aire d’origine de l’espèce (sud-est asiatique), « ce projet avait pour objectif de réduire la vigueur et le potentiel de développement de la plante sans provoquer son éradication totale et brutale », souligne Thomas Le Bourgeois.
Etude des mécanismes d’invasion de la plante à la Réunion
Avant de pouvoir sélectionner l’agent de lutte biologique, il a fallu mieux connaître la vigne marronne : sa diversité génétique, sa biologie et son écologie à la Réunion.
Thomas Le Bourgeois et ses collaborateurs ont d’abord mis en évidence la faible diversité génétique de la plante à la Réunion, une condition favorable pour qu’un agent de lutte biologique puisse être efficace sur l’ensemble de la population insulaire. L’équipe a ainsi pu remonter la piste des origines de cette population. Venant du sud-est asiatique, la plante aurait transité par Madagascar, où elle se serait croisée avec une espèce apparentée, donnant un hybride plus vigoureux. Celui-ci se serait alors répandu dans les îles alentours, dont la Réunion, et aurait proliféré, ne rencontrant aucun ennemi naturel pour le réguler.
La vigne marronne présente différentes caractéristiques qui lui ont permis de coloniser rapidement les milieux naturels à la Réunion : « une forme de croissance mi-liane/mi-buisson ; des modes de multiplication variés - en dessous de 1100 m, elle produit des graines sans fécondation et se multiplie de façon végétative, alors qu’au dessus de 1100 m, elle ne se multiplie que végétativement ; une période juvénile courte ; une production de graines régulière et abondante à basse altitude ».
Sélection d’un agent de lutte biologique
Il a fallu aller chercher un potentiel agent de lutte biologique dans l’aire d’origine du Rubus alceifolius Poir., où ses populations sont naturellement régulées. Des prospections ont été effectuées en Chine, Thaïlande, Vietnam, Laos, Indonésie : 4 pathogènes et 46 insectes ont été inventoriés et étudiés.
Le meilleur agent fut collecté à Sumatra par Roch Desmier de Chenon : un hyménoptère, Cibdela janthina, qui pond dans les nervures principales des jeunes feuilles de vigne marronne. « Les larves, grégaires et phyllophages, dévorent la feuille puis de façon systématique toutes celles qui se trouvent en dessous. La plante finit par mourir au bout du passage de deux à trois générations de larves », explique Thomas Le Bourgeois.
Les scientifiques ont minutieusement étudié, en laboratoire, d’abord à Sumatra, puis à Montpellier, et enfin à la Réunion (au Pôle de protection des plantes), la biologie et la spécificité de cet agent de lutte biologique. Différentes expériences ont prouvé que Cibdela janthina était inféodé au genre Rubus, autrement dit que l’insecte était incapable de s’attaquer à des plantes d’un autre genre, et que de plus, il ne pouvait achever son cycle de développement sur les trois autres espèces appartenant à ce genre à la Réunion.
Avec autorisation préfectorale, la tenthrède Cibdela janthina a donc été introduite en laboratoire à la Réunion début 2007, puis acclimatée sous tunnel fermé. Une population de base a ainsi été constituée, avec des adultes éclos de nymphes importées de Sumatra. « Il s’agissait dans un premier temps de vérifier le bon développement de l’insecte dans les conditions naturelles de la Réunion. Les premières larves et premiers adultes ont pu être lâchés hors du tunnel début 2008, dès que la population s’est avérée suffisante », relate le chercheur du Cirad.
La dispersion, le renouvellement des générations (environ 6 par an), l’impact sur Rubus, etc. sont désormais étudiés dans le cadre du suivi de l’acclimatation de l’insecte à la Réunion, à la demande de la DIREN. La prochaine étape est d’étudier la capacité de l’insecte à se développer à différentes altitudes et dans différents contextes écologiques de l’île, favorables à la vigne marronne.
Ces observations doivent se prolonger encore 3 à 5 ans, voire plus, pour un suivi à long terme, afin de juger de l’efficacité de l’insecte à réguler les populations de vigne marronne et d’étudier l’évolution de la régénération de la végétation naturelle en fonction du degré de régression de la vigne marronne.
Si l’expérience est concluante à la Réunion, elle pourra intéresser les îles sœurs du sud-ouest de l’Océan Indien (Maurice, Mayotte, Comores, Madagascar), où la vigne marronne est également envahissante…