Les virus sont-ils des organismes vivants ? Regards croisés de chercheurs
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La problématique du statut ontologique des virus n’est pas neuve et malgré son apparence simpliste elle touche en réalité à la question complexe de notre propre relation au vivant. Thierry Candresse, chercheur à l’Inra, Jean Michel Lett, virologue du Cirad, et Alexandre de Bryun, docteur en virologie, nous ont fait la faveur de bien vouloir nous faire part de leur sentiment sur le sujet. Les virus sont-ils des organismes vivants ?
Derrière cette question d’apparence simpliste se cache une problématique particulièrement complexe à laquelle il est impossible d’espérer apporter une réponse claire sans définir ce que l’on entend par « organisme vivant ». Or cette définition découle de notre propre appréhension du vivant. Par conséquent elle ne peut qu’être subjective et lacunaire, changeant au grès des connaissances apportées par la science.
Biologiquement parlant, on rassemble sous l’appellation d’« êtres vivants » des organismes présentant une structure complexe qui, grâce à des phénomènes d’homéostasie, leur permet de se soustraire aux équilibres thermodynamiques.[1] Ils sont caractérisés par leur capacité à s’auto répliquer et l’information nécessaire à leur conformation est codée via des acides nucléiques sous la forme d’ADN ou d’ARN. Ajoutons que tout être vivant se retrouve, de facto, soumis aux phénomènes de sélection naturelle et aux lois de l’évolution.
« Les virus sont incapables de s'auto répliquer... »
Dans le monde viral l’information est bel et bien stockée sous forme de brins d’ADN ou d’ARN. Toutefois les virus sont incapables de s’auto répliquer. Pour se multiplier un virus nécessite de spolier le matériel réplicatif d’une cellule vivante. C’est un parasite obligatoire. Est-ce là une raison suffisante pour le discriminer du vivant ? Jean Michel Lett, virologue au Cirad, nous fournis une piste de réflexion sur le sujet :
« Les virus sont effectivement incapables de s’auto répliquer… mais il en est de même pour la plupart des parasites. Or si l’on prend les microguêpes, parasitoïdes très utilisés en lutte biologique, personne ne remet en cause leur statut d’organismes vivants ! »
D’autre part, ces organismes sont soumis aux mécanismes de l’évolution. Soit, malgré leur incapacité à se répliquer en l’absence de cellules hôtes, il paraîtrait logique de les considérer comme partie intégrante du vivant, usant d’un parasitisme poussé à l’extrême. Du moins c’est le point de vue d’Alexandre de Bruyn :
« Pour moi, ils font partie du domaine du vivant. Ils en présentent le caractère principal à mes yeux : se répliquer et perdurer dans le temps. Toutefois, la question reste complexe car, évolutivement parlant, certains virus pourraient être des organites cellulaires ayant acquis leur indépendance. Les geminivirus par exemple sont supposés être d’origine plasmidique, issus d’une cellule procaryote de bactérie ou d’archée. Or les plasmides, isolés, ne sont pas considérés comme étant des êtres vivants. Cela ne simplifie pas vraiment le débat… »
Et en effet, il est d’autres particularités du monde viral dont il nous faut tenir compte :
En 1935, Wendell Stanley démontra le caractère cristallisable des virus ainsi que leur capacité à conserver leur virulence malgré tout.[2] Un chaton subissant le même traitement risquerait pour sa part de rencontrer quelques difficultés à préserver sa fougue féline. La cristallisation étant le critère de pureté d’un composé chimique, les virus seraient, selon cette définition, plus proches du monde minéral que de celui du vivant.
En 1992 une équipe recréa, en laboratoire, les conditions du vide spatial pour en observer les effets sur les virus. Leur conclusion est sans détour : après un séjour dans l’espace les virus sont capables de garder leur capacité infectieuse. Par opposition, une vache, organisme dont on ne discute pas l’appartenance au monde du vivant, mise dans les mêmes conditions, présenterait peu de chances de donner à nouveau du lait frais.[3]
Philosophiquement, le statut d’être vivant pourrait donc être considéré comme contextuel, dépendant des paramètres extérieurs. Une vache dans le vide intersidéral ne présenterait plus vraiment les caractéristiques nécessaires à son appartenance au domaine du vivant (compte tenu notamment de la difficulté qu’elle aura à y maintenir son homéostasie ou à s’y reproduire). Par conséquent, au retour d’un séjour spatial, un virus semblera bien plus vivant que sa bovine congénère, pour laquelle l’expérience risque d’avoir été plus traumatisante.
« Au quotidien la question ne se pose pas »
La question du statut des virus, toujours d’actualité au sein de la communauté scientifique, semble plus souvent faire appel aux passions qu’à une certaine rationalité. Et pour cause, elle touche aux fondamentaux du vivant, à la question sensible de l’origine de la vie ! De son coté, si Henry Poincaré parlait de science de jour et de science de nuit[4] , Thierry Candresse semble le rejoindre dans sa manière d’en analyser la problématique :
« Au quotidien la questionne se pose pas. Je préfère parler d’entités biologiques. Ils sont pathogènes, causent des dégâts aux cultures et c’est dans cette optique que nous nous y intéressons tous les jours. Au quotidien il n’y a pas de débats. Pour nous, ils font partie de l’écosystème du fruit[5] . »
Soit, pour Thierry Candresse, un virus se définirait comme une entité biologique, un organisme « aux frontières du vivant ». Au grand dam des philosophes, le monde du vivant refuse de se prêter à la réduction. Il se caractérise avant tout par un ensemble complexe et non réductible d’interactions. Les êtres vivants sont interdépendants les uns des autres et les virus ne semblent pas faire exception. Selon Jean Michel Lett, concernant les virus les choses iraient même bien au-delà :
« Les nouvelles technologies de séquençage et l’intérêt grandissant pour le monde marin ont permis d’identifier une diversité extraordinaire et insoupçonnée : les virus sont partout et en extrême abondance ! A un tel point qu’ils représentent un facteur essentiel de l’évolution du monde vivant. D’autre part il semble qu’ils interviennent dans la régulation des écosystèmes et de l’émission de gaz à effet de serre ! Bref, ils représentent un élément clef du vivant. Un comble pour un parasite absolu ! »
Toutefois, la question du statut ontologique des virus n’est toujours pas tranchée et sera amenée à évoluer avec la définition que nous donnerons au vivant lui-même. Max Planck avait coutume de dire, à propos de l’acceptation de nouvelles théories scientifiques, que ce n’était pas elles qui s’imposaient mais que c’était leurs opposants qui finissaient par disparaître.[6] Reste donc à voir quelles seront les positions des nouvelles générations de virologues.
Pour ma part, je n’hésite pas à prôner le relativisme[7] , considérant qu'un virus pourrait être défini comme étant un organisme vivant du moment qu'il trouve les conditions nécessaires à son développement… au même titre qu’une vache dérivant dans le vide spatial pourrait être considérée comme étant un organisme inerte, simple amas d’acides nucléiques, de protéines et d’acides gras.
[1] Grâce à leur conformation les êtres vivants peuvent s’émanciper du milieu dans lequel ils vivent. Une cellule bactérienne ne présente pas la même composition que le milieu dans lequel elle baigne. L’homéostasie permet à l’Homme de conserver son eau au sein de ses cellules, ce qui nous évite de vivre constamment immergés.
[2]
Pour ces travaux sur le virus de la Mosaïque du tabac, Wendell Stanley reçut le prix Nobel de Chimie en 1946.
[3]
J’emprunte ici leur bovine métaphore à Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo à qui en revient tout le crédit.
[4]
Le mathématicien Henri Poincaré différenciait la science de laboratoire, pratiquée au quotidien, de la réflexion du chercheur sur son sujet de travail. Il définissait la première comme étant la science de jour, la seconde la science de nuit.
[5]
Thierry Candresse est virologue au sein de l’UMR Biologie et Pathologie du Fruit, UMR issu de la collaboration de l’Inra et de l’Université de Bordeaux, par conséquent il travaille sur les interactions plantes/virus.
[6]
« Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convainquant ses opposants et en leur faisant voir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants finissent par mourir, et arrive une nouvelle génération qui est familière avec la nouvelle idée. » Max Planck
[7]
Difficile toutefois de faire plus relativiste que ce chercheur du Cirad, souhaitant rester anonyme, qui nous confiait récemment : « Les virus c’est en tout cas ce qui nous fait vivre, nous les virologues ».