Du Svalbard à La Réunion – Des chambres fortes pour préserver les semences agricoles
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12 000 km séparent la « Svalbard Global Seed Vault » de la chambre froide du CRB Vatel. La première, la réserve mondiale de semences du Svalbard, se situe sur l’île norvégienne de Spitzberg dans les eaux glacées de l’arctique. La seconde se trouve dans les eaux chaudes de l’océan Indien, sur l’île de La Réunion. Climat polaire pour l’archipel norvégien, tropical à La Réunion.
Pourtant, aussi opposés soient-ils, et malgré une différence d’échelle évidente, ces deux lieux abritent des infrastructures dont le but est similaire : préserver la diversité des espèces agricoles cultivées et sélectionnées par l’Homme depuis l’apparition de l’agriculture.
La « Seed vault »[1] réunionnaise se situe à Saint Pierre, sur l’île de La Réunion. Elle dépend du Centre de Ressources Biologiques Vatel, lui même géré par le Cirad, et est hébergée sur le site du 3P (Pôle de Protection des Plantes). Ses dimensions n’ont rien à voir avec les chambres froides du Svalbard. La chambre forte norvégienne est immense avec plus de 150 m de long. Avec ses quelques mètres carrés, celle du CRB Vatel paraît bien plus modeste.
Préserver et diffuser les variétés patrimoniales réunionnaises
Aucune confusion possible, la petite sœur réunionnaise héberge une centaine d’accessions pour une trentaine d’espèces. Au Svalbard ce sont plus de 5 000 espèces qui sont ainsi représentées par 843 400 variétés. 541 millions de graines conservées par -20°C au cœur de la montagne. De quoi donner le vertige. Même la Corée du Nord y a déposé des échantillons !
Mais le CRB Vatel n’a pas les mêmes prétentions. Ses collections de graines sont essentiellement issues de plantes locales et patrimoniales dont il s’agit de préserver la diversité. Des graines qui n’ont d’ailleurs pas vocation à rester enfermées et qui sont mises à disposition des organismes de recherche et des agriculteurs.[2]
La France disposant déjà de centres de ressources biologiques, elle n’a pas souhaité faire de dépôt au Svalbard, préférant se consacrer à plein temps à l’amélioration et au perfectionnement des structures existantes. Parmi celles-ci, le CRB réunionnais se consacre essentiellement à la préservation de variétés locales d’espèces cultivées traditionnellement par les producteurs.
L’objectif affiché du CRB Vatel est de préserver ces ressources, mais aussi de les valoriser. Il ne s’agit pas de conserver des graines pour les conserver, de les garder jalousement à l’abri des curieux, mais au contraire de les diffuser autant que possible pour assurer leur préservation au champ comme dans les chambres froides.
Menaces sur la diversité agricole
Préserver… mais de quoi ? De catastrophes ? Oui, mais pas forcément de celles que l’on imagine. Les risques liés aux éruptions du Piton de la Fournaise sont assez faibles, de même que ceux liés aux cyclones. Non, les principaux facteurs responsables de la disparition d’espèces agricoles ancestrales sont liés aux changements de nos modes de consommation, à l’uniformisation des pratiques agricoles, à la normalisation alimentaire ainsi qu’à l’augmentation des importations à bas prix. Les changements globaux risquent eux aussi à moyen terme de menacer ces espèces sous utilisées.
Il en est de même pour le Svalbard qui n’est pas un bunker réservé à un monde post apocalyptique mais un moyen d’assurer la préservation de ressources génétiques.
Illustrant malheureusement le besoin de telles infrastructures, le tout premier retrait de la réserve mondiale de semences a été effectué récemment, contraint par l’actualité géopolitique. Il concerne des variétés originellement conservées à Alep par l’Icarda (le Centre international de recherche agricole dans les zones arides). Depuis plus de cinq ans, l’antique ville d’Alep se situe au cœur des affrontements qui, encore aujourd'hui, font rage en Syrie. Devenues inaccessibles, les collections de l'Icarda risquent à tout instant d'être perdues à jamais, dommage collatéral potentiel du conflit armé.
Fort heureusement, l’Icarda avait déposé un duplicata de ses semences dans les chambres froides du Svalbard avant que ne débutent les affrontements. Ainsi, en octobre 2015, le centre de recherche a pu effectuer le tout premier retrait de l’histoire de la chambre forte norvégienne dans le but de reconstituer ailleurs des collections, dont la pérennité, à Alep, était fortement menacée.
Des semences « lontan » livrées à Mafate
A La Réunion, où le climat géopolitique est bien moins tendu, les retraits se font sur demande des agriculteurs, des centres de recherche ou de particuliers. L’objectif étant de préserver ces ressources, le meilleur moyen d’en assurer la pérennité reste de les diffuser le plus largement possible et de s’assurer qu’elles soient cultivées.
La dernière commande enregistrée par le CRB Vatel vient du Parc National de La Réunion, qui envisage de diffuser ces espèces patrimoniales dans le Cirque de Mafate. Autant de semences de patoles, de pipangailles, de pois sabre blanc et autres légumes « lontan » qui seront livrées dans le courant du mois d’août, s’inscrivant dans le schéma d’aménagement des îlets de Mafate dans le cadre du projet « Pei Run ». Projet qui entend concilier agriculture traditionnelle et préservation du patrimoine naturel.
Pour aller plus loin :
- Au Svalbard, dans la chambre forte des semences (Article du Monde, publié le 18/05/2016)
- Dos d'âne lance son projet Péi-Run en partenariat avec le Parc National
[1]
« Seed vault » signifie « chambre forte » en Anglais. C’est le terme consacré lorsqu’il s’agit de parler de celle du Svalbard.
[2]
Le CRB Vatel n’est pas un organisme semencier, il ne s’occupe pas de la multiplication des graines. Les semences sont fournies en petit nombre aux agriculteurs et aux organismes qui passent commande, charge à eux de s’occuper de la multiplication.