L’implantation de Drosophila suzukii à la Réunion – Chronique d’une arrivée annoncée
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Suite à une demande émanant de la Direction Générale de l’Alimentation, l’ANSES[1] (Agence Nationale de Sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) à récemment rendu public son rapport d’expertise sur les risques phytosanitaires à la Réunion liés à la mouche des fruit Drosophila suzukii. L’agence de sécurité sanitaire y présentait le risque d’implantation de cette drosophile à la Réunion… peu de temps avant qu’elle y soit détectée.
Drosophila suzukii, diptère[2] d’origine asiatique, s’attaque aux fruits charnus pour y pondre ses œufs. Une fois éclos, les larves qui en sortent se nourrissent de leur chair, causant par-là d’importantes pertes de production. Contrairement à une grande part de ses confrères, Drosophila suzukii a pour particularité de pouvoir s’attaquer aussi bien à des fruits abîmés qu’à des fruits sains… d’où l’impact conséquent qu’elle exerce sur les cultures fruitières.
Si en 2012 le Cirad avait diagnostiqué l’île de la Réunion comme étant indemne de toute présence de D. suzukii, rassurant par-là les spécialistes du secteur, un peu plus d’un an plus tard, en novembre 2013, un spécimen fut officiellement identifié pour la toute première fois sur le sol réunionnais. Aujourd’hui, les prédictions contenues dans le rapport de l’ANSES sont malheureusement en train de se confirmer : Drosophila suzukii, diptère ravageur des fruitiers, semble être en voie de s’établir durablement sur l’ancienne île Bourbon.
Un climat Réunionnais favorable, Mayotte peu inquiétée
Le rapport de l’ANSES faisait, sans ambiguïté aucune, état d’un fort risque d’implantation de la mouche asiatique à la Réunion : de fait le transport de fruits et de végétaux par des passagers empruntant les lignes aériennes commerciales est malheureusement peu contrôlé et difficilement maîtrisable. Il est donc fort probable que ces voies aériennes aient été le vecteur d’introduction de D. suzukii à la Réunion. Selon l’ANSES, la mouche étant inféodée aux climats tempérés, les risques de son implantation à Mayotte sont fortement limités. En effet le climat de l’île y est essentiellement tropical. Pour la Réunion les paramètres sont bien différents. Son relief ne joue pas en sa faveur, et les hauts, dans lesquels les températures sont plus douces, correspondent aux conditions optimales nécessaires au développement et à l’implantation de D. suzukii.
« Pour la Réunion, le risque d’introduction de D. suzukii est probable
compte tenu d’un risque d’entrée important […] et un risque d’établissement
probable dans les zones d’altitude où sont cultivées des plantes hôtes majeures. […] »[3]
Fraisiers, pêchers et cerisiers de Cayenne, des cultures directement concernées
Parmi les cultures réunionnaises dont D. suzukii est friande, les fraisiers et les pêchers sont des hôtes très appréciés par les larves du diptère. De plus, il existe de sérieuses craintes concernant les goyaviers de Chine[4] et les cerisiers de Cayenne[5] qui pourraient faire partie des cultures directement touchées par la présence de la drosophile.
Toutefois l’ANSES émet des réserves à l’égard de certaines de ses prévisions. En effet, le manque de données concernant le comportement de la mouche en climat tropical – notamment concernant ses capacités d’acclimatation et d’adaptation – oblige à rester prudent sur les pronostics émis. Rien n’indique que la drosophile ne se plairait pas sur le littoral ou dans des vergers de manguiers. Nous savons seulement que le climat tropical régnant en bord de mer ne correspond pas à ses habitudes écosystémiques. Au même titre, nous ne disposons d’aucune donnée quant aux conséquences que pourrait avoir sa présence sur des fruits tropicaux.
Concernant les fraisiers et les pêchers, qui font partie de ses hôtes spécifiques connus, ils sont généralement cultivés entre 800 et 1 500 mètres d’altitude. Des hauteurs où le climat tempéré se rapproche de celui qu’affectionne le diptère. Bien que leur production ne représente pas un poids économique majeur pour l’agriculture Réunionnaise, comparé à la culture de bananes ou d’ananas, la présence de cette drosophile pourrait devenir en peu de temps une problématique cruciale pour les exploitations concernées.
Tenant compte de ces données, et souhaitant favoriser la prévention, l’ANSES proposait dans son rapport une série de recommandations afin d’éviter l’implantation durable de ce nuisible à la Réunion.
Préférence donnée à la prévention
Afin de préserver l’île de la probable introduction de D. suzukii, les principales recommandations édictées par l’ANSES concernaient l’importation de matériel végétal, dont, insularité oblige, le tonnage est particulièrement important à la Réunion. Dans son rapport l’agence préconisait le traitement au froid systématique des fruits issus de plantes hôtes connues et souhaitait de surcroît que soient mis en place de stricts contrôles de conformité des marchandises dès leur débarquement sur sol réunionnais. A bon entendeur, l’agence rappelait au passage que l’introduction de matériel végétal à la Réunion est totalement prohibée, depuis un arrêté préfectoral datant du 25 septembre 1992, lorsque celle-ci est effectuée par des passagers.
Ces méthodes seules ne pouvant être suffisantes pour endiguer le risque d’introduction de D. suzukii - capable de résister à la saison hivernale en métropole il est probable que des individus ou leurs œufs passent la barrière du traitement au froid, sans parler de la difficulté de la mise en pratique d’un contrôle systématique et efficace des importations - l’ANSES préconisait et encourageait la sensibilisation des populations aux risques associés à l’introduction d’espèces sur sol insulaire. De fait, l’implication des acteurs locaux et des populations est indispensable au bon déroulement de ce type d’actions.
Soit, la présence de D. suzukii à la Réunion étant confirmée par de récentes caractérisations, l’ANSES recommande le maintien de contrôles phytosanitaires des importations dès leur arrivée – bien qu’ils soient difficile à mettre en œuvre compte tenu de la masse de fruits importés – ainsi que l’augmentation des efforts de sensibilisation et d’inspection des passagers. A ces mesures prophylactiques s’ajoute la possibilité d’installer des filets de protection autours des cultures à risque, afin d’éviter que les mouches ne viennent pondre à l’intérieur des fruits. Concernant Mayotte pour lequel le risque est évalué plus faible, l’ANSES recommande une surveillance régulière des cultures afin de détecter la possible arrivée sur le territoire de D. suzukii.
Pour aller plus loin :
[1]
L’ANSES est une agence réalisant sur demande des expertises scientifiques indépendantes d’évaluation des risques sanitaires, alimentaires ou environnementaux.
[2]
Comprenant plus de 150 000 espèces décrites, l’ordre des diptères est caractérisé par la possession d’une unique paire d’ailes membraneuses (di : deux ; pteron : aile).
[3]
Analyse du risque phytosanitaire sur Drosophila suzukii pour la Réunion. Avis de l’ANSES, Juillet 2014.
[4]
Source Philippe Thomas, responsable de l’Unité de Santé des Végétaux de la DAAF (Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) à la Réunion.
[5]
A propos des cerisiers de Cayenne, le rapport de l’ANSES fait état de craintes concernant l’impact que pourrait avoir la présence de D. suzukii sur sa culture.