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Abeilles des îles de l’océan Indien, une diversité à préserver

Rédigé par Jaëla Devakarne Modifié le

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  • Dr. Hélène Delatte en mission ePRPV à Madagascar © GDS - Olivier Esnault

L’abeille domestique présente un intérêt majeur sur les plans économique et écologique. Dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien (SOOI), l’apiculture constitue une activité traditionnelle importante, notamment à La Réunion, à Madagascar, à Maurice et aux Seychelles. La préservation des abeilles, essentielles à la pollinisation des plantes, nécessite une meilleure connaissance de leur diversité.

À cette fin, les équipes de recherche de l’UMR PVBMT (Cirad et université de La Réunion) et de l’université d’Antananarivo de Madagascar ont réalisé un état des lieux de la diversité génétique des sous-espèces présentes dans la région. Alors que la pratique de l’apiculture intensive dans le monde entraîne une baisse de la diversité des abeilles, les premiers résultats montrent que les îles du sud-ouest de l’océan Indien abritent un patrimoine génétique à préserver.

Lignées et biogéographie des abeilles :

Les abeilles utilisées en apiculture appartiennent très majoritairement à l’espèce Apis mellifera qui possède aujourd'hui une répartition géographique mondiale. Cette large distribution témoigne d’une capacité d’adaptation à des situations écologiques différentes qui se traduit aussi par une variabilité génétique au sein de l’espèce. On parle alors de lignées et de sous-espèces. Une lignée correspond à un ensemble de sous-espèces ayant une histoire évolutive commune. L’espèce Apis mellifera se divise en quatre lignées génétiques caractérisées par une forte structuration géographique, fruit de plusieurs milliers d’années d’évolution :

  • la lignée A provient d’Afrique ;
  • les lignées C et M provient d’Europe ;
  • et la lignée O, provient d'Asie.

Présentes dans un grand nombre de pays exposés à des climats et à une flore variés, des sous-espèces sont apparues au sein de ces lignées, 28 ayant été répertoriées. On parle aussi de races géographiques. Elles résultent d’adaptations à leur environnement qui se traduisent par une morphologie, un comportement ou un cycle de développement variables d’une région à l’autre.

Dans l’océan Indien, seule la sous-espèce endémique A. mellifera unicolor avait déjà été caractérisée à Madagascar. Afin de mieux connaître l’ensemble des sous-espèces présentes dans les autres îles du SOOI, un état des lieux de la diversité génétique de l’abeille a été réalisé dans le cadre du projet ePRPV[1]. Lancée en 2012, cette étude a été menée par une doctorante, Maéva Techer sous le co-encadrement d’Hélène Delatte, chercheuse au Cirad de La Réunion (UMR PVBMT) et de Johanna Clemencet, maître de conférences à l’Université de La Réunion (UMR PVBMT). Elle a nécessité un partenariat rapproché avec les acteurs scientifiques et gouvernementaux des îles de l’océan Indien.

©Cirad, Jaëla Devakarne
De gauche à droite : Hélène Delatte, Olivier Esnault (vétérinaire au GDS), Johanna Clémencet, Maéva Técher

Une mobilisation régionale autour de la collecte des échantillons

De 2012 à 2014, trois missions ont été organisées dans les îles du SOOI afin de réaliser des campagnes d’échantillonnage d’abeilles dans les ruchers et à l’état sauvage. En novembre 2012, 355 échantillons ont été collectés à Maurice sous la coordination de la division entomologique du Ministère de l’Agriculture de l’île. En janvier 2013, 186 échantillons, en provenance de la quasi-totalité des ruchers, ont été ramenés des trois îles des Seychelles grâce à l’appui de la Seychelles Agricultural Agency. En février 2013, 524 échantillons ont été collectés à Rodrigues sur 20 sites grâce au soutien de la division entomologique du Ministère de l’Agriculture de Maurice. Les travaux concernant Madagascar ont été réalisés par Henriette Rasolofoarivao dans le cadre de sa thèse co-encadrée par l’Université de Madagascar, le Cirad et l’université de La Réunion. Ils sont issus de données provenant de 867 colonies d’abeilles réparties sur 76 sites de la grande île. Enfin, des échantillons ont été ramenés des Comores par le docteur Abdou Azali Hamza, chercheur à l’INRAPE et enseignant à l'Université des Comores.

Henriette Rasolofoarivao en mission ePRPV à Madagascar © GDS - Olivier Esnault
Henriette Rasolofoarivao en mission ePRPV à Madagascar

Analyse du génome, clé de l’origine géographique des abeilles

L’analyse des données repose sur l’utilisation de deux marqueurs moléculaires, l’ADN mitochondrial et l’ADN nucléaire, qui permettent de comprendre la biogéographie de l’abeille. L’ADN mitochondrial, exclusivement transmis par voie maternelle, renseigne sur le génotype de la reine et donc sur l’origine maternelle de la colonie. Il permet une première détermination de la lignée et sous-espèce en présence, qui sera confirmée par l’analyse de l’ADN nucléaire (c’est-à-dire l’ADN du noyau cellulaire). Le génome nucléaire est transmis par voies maternelle et paternelle chez les ouvrières. Son étude, à partir d’un groupe d’ouvrières,permet de déterminer les génotypes des mâles fécondant la reine. La combinaison des deux méthodes permet de caractériser la lignée génétique, et donc l’origine géographique, des abeilles étudiées en mettant en évidence ou non des phénomènes de métissage entre sous-espèces.

Premiers résultats : une diversité à préserver

Les premiers résultats de l’étude de la diversité génétique des abeilles dans les îles du SOOI sont révélateurs d’un patrimoine unique. Ils montrent que l’ensemble des abeilles collectées à Madagascar, aux Comores et aux Seychelles appartient à la lignée africaine et en majorité à la sous-espèce A. mellifera unicolor, endémique de Madagascar. À Maurice, la moitié des échantillons provient de lignées européennes et l’autre moitié est d’origine africaine.

Enfin, les abeilles prélevées à Rodrigues appartiennent dans leur ensemble à la lignée européenne. Parmi les lignées européennes retrouvées, les sous-espèces A. mellifera carnica et A. mellifera ligustica, ont été identifiées. Ces variations pourraient s’expliquer par des politiques d’importation d’abeilles différentes entre les îles. Des abeilles de la lignée européenne ont régulièrement été importées à Maurice puis à Rodrigues qui en dépend sur le plan économique. 

©Cirad
Cartographie des lignées génétiques dans les îles du SOOI

D’autre part, les résultats montrent qu’au sein des échantillons de lignée africaine, il existe une variabilité génétique suffisamment importante entre les abeilles de chacune des îles pour indiquer que leur introduction depuis Madagascar s’est produite bien avant la venue de l’Homme. Les abeilles seraient donc arrivées sur les îles du SOOI par voie naturelle et se seraient adaptées à leur nouveau milieu, entraînant des divergences génétiques au sein de leur génome. Bien que l’on ne puisse encore parler de sous-espèces, l’étude montre une diversité génétique remarquable malgré la petite taille des îles du SOOI. La diversité des abeilles dans ces îles constitue ainsi un patrimoine unique qui mérite une attention particulière.

Une autre étude en cours de réalisation tend à montrer que les abeilles de la région présentent des préférences florales. La conservation de l’apiculture traditionnelle requiert une préservation de la flore locale, les abeilles y étant largement inféodées. Dans l’attente de la finalisation de l’étude sur leur diversité, deux publications sur la caractérisation génétique des populations d’abeille à Rodrigues[2] et à Madagascar[3] sont déjà parues dans Apidologie, revue scientifique de référence sur les abeilles. Une publication concernant les travaux réalisés aux Seychelles est en cours de rédaction.


[1] Élargissement et Pérennisation du Programme Régional de Protection des Végétaux

[2] Genetic characterization of the honeybee (Apis mellifera) population of Rodrigues Island, based on microsatellite and mitochondrial DNA - Techer M.A, Clémencet J., Turpin P.,Volbert N., Reynaud B., Delatte H .2014.Genetic characterization of the honeybee (Apis mellifera) population of Rodrigues Island, based on microsatellite and mitochondrial DNA. Apidologie , 1-10 .DOI10.1007/s13592-014-0335-9 - http://umr-pvbmt.cirad.fr

[3] Genetic diversity of the endemic honeybee : Apis mellifera 3 unicolor (Hymenoptera: Apidae) in Madagascar- Rasolofoarivao, H., Clémencet, J., Techer, M., Ravaomanarivo, L., Reynaud,B., Delatte, H. 2015. Genetic diversity of the endemic honeybee: Apis mellifera unicolor (Hymenoptera: Apidae) in Madagascar. Apidologie, 1-13, DOI10.1007/s13592-015-0362-1. Online first - http://umr-pvbmt.cirad.fr

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